Paris — New York

Ernest Pignon-Ernest
Haïti, le secret cheminement du sang

9 septembre – 10 novembre 2021
38 avenue Matignon, Paris
Après Saint-Malo où en 2011 j’avais dialogué en public avec Jean Rouaud, le festival Etonnants Voyageurs et Michel Le Bris, à la demande d’auteurs Haïtiens, m’invitent à Port-au-Prince. Films, débats, rencontres avec des écrivains des Caraïbes. Grâce à Pascale Monnin et James Noël, je peux découvrir la ville, l’incroyable foisonnement qui y règne, les tragiques conséquences du séisme de 2010 qui perdurent, la cathédrale en ruine, la vitalité de création et le syncrétisme religieux qui imprègne tout cela.

La rencontre avec Lyonel Trouillot, d’évidentes affinités et la découverte de son œuvre, me permettent une approche de la réalité et de la poésie haïtienne, inséparables, et m’orientent vers l’œuvre et la personnalité de Jacques Stephen Alexis (1922-1961). Je découvre la conjugaison de ses écrits et de son destin, qui font de lui de ces figures comme Mahmoud Darwich, Neruda, Pasolini qui incarnent leur temps, leur communauté, leur peuple, son histoire, ses aspirations. C’est ce qu’il a dit de lui-même qui m’a fait comprendre pourquoi j’ai ressenti là-bas une intensité du même ordre que celle éprouvée en arrivant à Naples :
« Avant tout et par-dessus tout fils de l’Afrique, je suis néanmoins héritier de la Caraïbe et de l’indien américain à cause d’un secret cheminement du sang et de la longue survie des cultures après leur mort… Je suis dans une bonne mesure héritier de la vieille Europe, de l’Espagne et de la France surtout… J’ai choisi sans équivoque les familles humaines qui m’apparaissent comme les plus proches de moi, la famille nègre et la famille latino-américaine… »

Haïti est l’île où se croisent toutes les cultures, croyances, légendes, des plus magiques aux plus crues. Les tyrannies semblent installées à demeure en Haïti, elles s’imposent avec une violence extrême et dans leur volonté de terroriser elles exhibent toujours plus leur cruauté.
Les Espagnols, sitôt débarqués, ont trahi et pendu en 1503 la princesse taïno Anacaona, la Fleur d’or ; les colons français ont livré au bûcher Makandal en 1758, devant la cathédrale, et en 1791 exposé la tête tranchée de Dutty Boukman. En 1919, les Américains, nouveaux envahisseurs, ont exécuté Charlemagne Péralte, puis exhibé son corps, ligoté à une porte et en ont diffusé la photo par milliers. Héritier de cette sinistre tradition sanguinaire, Duvalier exigeait que les écoliers assistent aux exécutions.

Dans ce contexte historique de surenchère de cruauté, où tortures et assassinats sont affirmés, revendiqués, exhibés, que signifie que Duvalier nie avoir fait exécuter Jacques Stephen Alexis ? Sinon que, conscient de l’ampleur du crime, il mesure qu’il ne pourra - même dans le temps - affronter « le fracas que fait un poète qu’on tue » (Aragon à propos de Lorca). C’est que le poète en question (sa pensée, son écriture, son imaginaire) est le pays même.

Disparu sans sépulture, sans que l’on sache ce que son corps est devenu, j’ai souhaité avec mes premiers collages faire réapparaître le visage de Jacques Stephen Alexis dans les rues de Port-au-Prince : son portrait, accompagné de signes nés de son œuvre, gravé sur une image de porte, inscrivant ainsi son destin dans la filiation de celui de Charlemagne Péralte.
Lorsque la situation en Haïti me le permettra de nouveau, j’espère pouvoir réaliser d’autres collages, certains étant déjà esquissés comme on le verra dans l’exposition.
–Ernest Pignon-Ernest

Une dizaine de photographies seront présentées en dialogue avec des dessins. Ernest Pignon-Ernest exposera également un grand pastel sur toile libre représentant Anacaona. Enfin, plusieurs œuvres montreront des projets d’interventions, l’artiste ayant travaillé au pastel sur des tirages photographiques.

Vues d’exposition

Vue d'exposition. Photo: Fabrice Gibert
Vue d'exposition. Photo: Fabrice Gibert
Vue d'exposition. Photo: Fabrice Gibert
Vue d'exposition. Photo: Fabrice Gibert